Foctus acteur : Gertrude Rodriguez, responsable d’animation sur des programmes urbains de gestion des déchets

Gertrude travaille pour la Caritas Kaolack, sur la commune de Kahone pour un programme d’accompagnement du territoire communal à la gestion des déchets. Située à proximité directe de la grande ville de Kaolack, sur le fleuve Saloum, Kahone est une petite ville de moins de 14 000 habitants.

Bonjour Gertrude. Tu travailles à Caritas Kaolack, au Sénégal, sur un programme lié à la gestion des déchets à l’échelle d’une commune. De quoi s’agit-il exactement ?

Oui, je suis responsable de l’animation d’un projet de gestion d’ordures ménagères sur la commune de Kahone (à 5 km de Kaolack). Le projet concerne en tout 3 communes. Le but du projet est d’appuyer des OSC et des initiatives de citoyens cherchant à donner des solutions au problème du traitement des déchets. Le travail se fait en lien direct avec la municipalité qui a en la compétence.

Mon travail consiste à coacher, accompagner, encadrer les organisations qui s’engagent à jouer un rôle pour le traitement des déchets, afin d’amener une commune qui n’a pas de dispositif de gestion des ordures de pré-collecte à pouvoir organiser ses acteurs pour lancer un système de pré-collecte. En quelque sorte, c’est lancer l’autonomie de la commune sur la gestion de ses déchets.

Comment procèdes-tu ?

C’est du développement local. Il faut d’abord commencer à faire un diagnostic : cartographier les systèmes ou initiatives existantes, identifier les acteurs en différenciant ceux qui s’activent dans les actions de nettoyage et ceux qui sont engagés mais ne participent pas, évaluer la capacité de maitrise d’œuvre de la commune…

Ensuite on peut travailler à la mise en place d’un projet de gestion communautaire des ordures. Il ne s’agit pas d’impliquer que la municipalité, mais bien toute la population qui au final vit au jour le jour dans les ordures. Comme la municipalité a la compétence déléguée, on l’amène à construire un cadre formel de coordination pour assurer le système de pré-collecte. On peut à ce moment faire du transfert de compétences, de l’encadrement pour la gestion organisationnelle, technique, financière.

Et ton rôle se situe où dans tout ça ?

Moi je suis sur l’ingénierie sociale. Je mets en relation les personnes,  j’accompagne les acteurs identifiés à mettre en place une instance formelle et  à construire un cadre de concertation. Pour être exacte, ce cadre de concertation on ne l’anime pas, mon rôle c’est d’amener  la municipalité à le faire. Je dirais qu’on booste la vie de ce cadre entre municipalité et société civile. N’étant pas technicienne de la gestion des ordures, on fait intervenir des prestataires ou des bureaux d’études pour les études techniques. Je suis aussi amenée à collaborer avec les services techniques étatiques  comme le service d’hygiène, le service de l’environnement qui mettent à contribution leur expertise.

Tu fais aussi de la sensibilisation ?

Je ne fais pas de sensibilisation auprès du grand public. Je forme les OSC sur les techniques de communication, et je me charge de concevoir  les documents d’orientation qui définit  les outils, des méthodes de suivi, des approches Je les laisse par ailleurs gérer tout ce qui concerne la mise en œuvre. Je me charge de coordonner l’exécution et d’animer les rencontres de bilan et d’évaluation.

Il faut se rendre compte que, si les membres des OSC ont souvent un niveau d’études très faibles (pour certains ils ne savent pas lire ou écrire), on peut pour autant les responsabiliser. Ils sont capables de tenir un discours sur tout le processus de traitement des ordures, ils comprennent les enjeux. Pour nous c’est un des résultats de l’implication.

C’est pourquoi on reste sur du coaching, et même sur un coaching dégressif. Je n’aime pas l’idée de projet, mais plutôt l’esprit de dynamique car ce que l’on met en place ne dois pas disparaitre à la fin de la période conventionnelle du projet.  Le message qui passe durant le projet, c’est qu’à la fin il n’y a plus d’appui financier. En travaillant sur l’idée de dynamique, on montre bien à tous les acteurs que  notre rôle c’est de propulser un système de gestion des ordures et que chacune des parties institutionnelle comme communautaire doit s’engager à la consolider et à la pérenniser.

Comment es-tu arrivée à ce poste ?

Je suis passée au CIEDEL en 2004. A ce moment, j’étais à l’ARD Kaolack comme stagiaire. C’était à peu près ma seule expérience de développement. Je suis arrivé au CIEDEL qui avait accepté de m’entendre en entretien malgré ce manque d’expérience. Finalement j’ai été acceptée.

En sortant, je suis allée directement à Caritas. Je n’avais pas de compétences spécifiques sur la gestion des ordures mais j’ai pu faire bénéficier du capital acquis lors de ma formation. Le poste valorise particulièrement des compétences sur le développement économique local, la coopération décentralisée, la stratégie d’acteurs, la gestion de conflits ou encore la gestion de projets. De toute façon, c’est rare d’avoir une formation spécifique sur la thématique des ordures, donc ces compétences allaient très bien.

Quel a été l’élément déclencheur qui t’as amenée au développement local, alors ?

J’avais un parcours avec une maitrise en droit privé mais j’étais préoccupée de voir le niveau d’avancement de la société lors de mon passage à l’ARD. L’approche des ONG qui avaient une façon d’intervenir pas toujours au bénéfice de la population mais plus comme un service, qui permettait de faire fonctionner une structure, m’interrogeait.

Je  me disais « si chaque ONG qui a un financement extérieur laissait quelque chose on serait plus loin dans les programmes de développement ». D’où mon évolution de carrière.

C’est une manière de voir les choses que tu retrouves à la Caritas ?

Il ne faut pas se mentir, on est souvent soumis à répondre à des appels d’offres, comme toute ONG,  car on est contraint financièrement. Mais rien que du fait du contexte dans lequel on travaille, on est obligé de trouver d’autres solutions.

Sur la thématique des déchets, les investissements sont coûteux et la pérennisation pose parfois un problème. La gestion des déchets étant une compétence transférée, on a aussi un facteur de blocage pour atteindre les bailleurs : ils connaissent l’instabilité des institutions locales et peuvent hésiter à s’engager à soutenir une ou des communes.

D’une certaine manière cela nous incite à travailler avec les OSC qui peuvent faire du plaidoyer localement et dont les membres voient directement l’intérêt de travailler sur les déchets car leur cadre de vie en est visiblement amélioré. L’évolution de l’activité  permet de créer de l’emploi et quand un nouveau maire arrive, les OSC sont là pour tout de suite l’inciter à s’inscrire dans la dynamique.

J’en profite pour dire que le plaidoyer local est indispensable pour la gestion des déchets. Le niveau de volonté politique est un facteur très important pour voir des améliorations dans ce secteur et il est donc essentiel de convaincre les décideurs. Dans des pays en développement, on se dit souvent que les déchets ce n’est pas prioritaire or, c’est une problématique qui a un impact  sur  la santé,  l’agriculture, à l’économie, le  tourisme…

Le résultat, c’est qu’on a de plus en plus de communes qui nous sollicitent pour qu’on les encadre : elles voient de petites initiatives émergées  mais manquent de compétences.

Le plaidoyer ne se fait qu’au niveau local ?

Non, mon responsable d’équipe  représente la structure au sein d’un comité technique régional animé par le Gouverneur. Cette instance est un cadre d’échange des structures qui interviennent sur la thématique de l’environnement, elle permet de partager   les problèmes et fait le lien avec le cadre national. L’État a cible des communes problématiques au niveau des déchets, comme à Kaolack., pour les accompagner à travers un programme national de gestion des déchets.   Notre orientation  c’est de faire un plaidoyer national pour que les communes  que nous accompagnons soient inclues dans le  schéma régional voir national  de gestion des déchets. Il nous faut toujours informer de ce qu’on fait, de nos attentes… pour que la coordination progresse.

12 ans sur le même poste, j’imagine que ton métier a dû évoluer ?

Oui en effet. D’abord, l’échelle à laquelle je travaille a évolué. En 2006, j’intervenais au niveau d’un quartier. Aujourd’hui, je travaille à l’échelle communale, sur deux programmes, et avec un rôle de coordination de l’animation entre les 3 communes de Kaolack. On est une petite équipe de 4 personnes mais on travaille constamment avec tout un groupe d’acteurs au niveau communal, une sorte d’équipe constituée sur place.

Nos méthodes de travail ont aussi bien évolué. On a des outils de suivi plus professionnels qu’il y a 10 ans. Nous essayons de formaliser ce que nous faisons, avec une volonté d’approfondir nos approches d’animation, ce qui nous conduit à élaborer  des documents pour piloter la phase de réflexion ou pour appuyer la mise en œuvre. Tous ces documents, nous les partageons avec les acteurs, les municipalités, pour promouvoir le transfert de compétences.

Le travail d’accompagnement que l’on a mis  en place à Kahone, est issu de l’expérience vécu dans la commune de Kaolack avec d’autres acteurs, et d’autres agents de la Caritas. Mais à Kahone comme pour les autres communes bénéficiaires, je pense que l’on va plus loin. On essaie de mettre en place une chaine entière de traitement des ordures ménagères, donc on ne limite  plus seulement la pré-collecte. En amont on a  incité les municipalités à  prendre un arrêté portant délibération et affectation  d’un site   pour  servir d’espace de stockage provisoire des déchets. La valorisation des déchets a été intégrée dès le début. Aujourd’hui ces sites aux dénommées auparavant décharges d’ordures sont aménagés en centre de valorisation et de transfert des déchets.

Du coup mon travail évolue puisque je me préoccupe maintenant des questions de tri avec les acteurs de la pré-collecte. J’appuie une unité de pré-traitement des déchets plastiques à Kaolack  qu’on souhaite rendre viable comme entreprise sociale et solidaire.

Tu as encore des défis à relever sur ce poste ?

Mon premier défi avant d’aller vers autre chose est d’arriver à faire monter ce secteur de la pré-collecte vers plus de professionnalisme. Avoir des organisations communautaires   plus formelles  qui fonctionne à l’image d’une entreprise communautaire. On se lance dans la mise en place de coopérative  qui sera constituée des organisations communautaires en charge de la pré-collecte  et donc il faut qu’on arrive à les accompagner  à revoir leur mode de fonctionnement. Il nous faut un exemple qui parte du néant et aboutisse à une entreprise fonctionnelle, réplicable. Ca ça parlerait aux communes et aux bailleurs.

Un auteur ou un livre que tu aimes bien ?

Plutôt une citation : « tout est possible dans une démarche pluri-acteurs ». Dans le domaine des ordures, on a besoin d’idées ou d’engagements tous simples pour aboutir à quelque chose. Il faut initier les dynamiques avec de petits moyens et ne pas attendre d’avoir un camion nouvelle génération. Tant qu’il y a des hommes et des femmes engagés, on peut se lancer. C’est certes beaucoup d’efforts pour des résultats qui peuvent paraitre petits, mais si l’engagement est là cela vaut le coup.